La tranquillité à Saint-Nazaire ? Oui, mais sans caméras !
Intervention de Philippe Deguiral au Conseil Municipal du 26 juin 2015 au sujet du contrat de tranquillité publique.
Il nous est demandé de délibérer sur les objectifs et moyens proposés pour un contrat local de tranquillité publique pour notre ville. Le thème de la sécurité et donc de l’insécurité prédominent dans toute la réflexion que l’on doit mener autour de ce projet.
L’insécurité, avec les incivilités, et la délinquance, est une des préoccupations majeures de la population. Nous ne la sous–estimons pas. Les conséquences importantes physiques, psychologiques, sociales notamment pour les personnes les plus vulnérables nécessitent une vraie réflexion politique, objective, républicaine et sereine. Différentes solutions sont proposées pour lutter contre ce qui peut être qualifié de fléau par beaucoup. La prévention doit demeurer un axe majeur de notre action, car comment débattre de ce contrat local de tranquillité publique sans débattre des déterminants de cette même délinquance ? Elle est le fruit de plusieurs facteurs sociaux liés au climat de la société actuelle aggravés par la crise économique et son lot de chômage, la précarité, toutes les formes de discrimination comme notamment la xénophobie, le racisme.
Le sentiment d’insécurité ressenti par certains citoyens n’est pas lié qu’à la délinquance avérée. C’est un facteur corrélé aussi à la santé, l’acceptation de la diversité culturelle, le degré de précarisation, les problèmes sociaux, le terrorisme ou encore la médiatisation de certains actes de délinquance ou des propos tenus par des leaders politiques. Il est parfois difficile de bien objectiver la problématique avec souvent l’absence d’indicateurs fiables. Ne raisonnons pas uniquement avec le ressenti de chacun et gardons-nous de généraliser ou d’amplifier des situations de délinquance certes toujours insupportables et inacceptables pour toutes les citoyennes et citoyens de notre ville. Il nous parait important également de rappeler que la municipalité n’est pas le seul acteur ayant les clés pour combattre ce fléau. D’ailleurs, peut-on complètement l’éradiquer ?
La mise en place de ce contrat local de tranquillité publique faisait bien partie du programme de notre liste inventive et fraternelle.
Ce que nous soutenons
Nous soutenons de nombreux objectifs et actions contenues dans ce contrat. Celui–ci permet la poursuite et le renforcement d’actions en faveur d’une mixité sociale, de prévention et de médiation et donc du vivre ensemble. Ces actions qui ne sont pas toujours assez connues de tous : la présence de médiateurs et médiatrices, les agents de vie quotidienne, les maisons de quartiers, un CCAS très dynamique, des associations de soutien et de prévention contre les addictions, le contrat local de santé. Soulignons la démocratie locale avec les conseils de quartier, l’engagement très important des citoyens et citoyennes de notre ville dans beaucoup d’associations qui œuvrent pour promouvoir le lien social.
Dans ce contrat, la présence humaine est renforcée avec l’augmentation de 2 médiateurs à l’équipe déjà en place. Ceci est à notre avis une excellente chose. Elle favorise pleinement la cohésion sociale et permet d’améliorer les échanges avec et entre les citoyens. La mise en place d’une réelle coordination entre tous les acteurs du champ social et avec des passerelles avec les institutions, la Police nationale, la Justice et les élus est pour nous un choix politique majeur.
Ce que nous désapprouvons
Pourtant il nous est proposé dans ce contrat deux nouveaux dispositifs sur lesquels nous voudrions expliquer nos réticences.
Implantation de caméras sur la voie publique
Tout d’abord l’implantation de caméras sur la voie publique.
Il convient tout d’abord de définir les termes employés. Il y a quelques années, on parlait de vidéosurveillance. Ce terme a disparu avec le gouvernement Sarkozy et remplacé stricto sensu par vidéoprotection dans une loi sur la sécurité. Aujourd’hui on nous parle de vidéorésolution. À quand un 4e terme ? Ce glissement sémantique a surtout pour fonction à notre avis de répondre à l’objectif d’apaiser le sentiment de surveillance, de rassurer les citoyens. Dans l’imaginaire collectif, l’installation de caméras semble s’imposer comme nécessaire. De nombreuses villes ont déjà adopté ces installations.
Cependant, de nombreux arguments plaident contre l’intérêt de ces mesures. Sans même évoquer le risque d’atteinte aux libertés individuelles, soulignons l’absence de preuve de son efficacité. Il n’existe que peu ou pas d’étude indépendante fiable avec des résultats probants. Pas d’indicateurs d’efficacité d’ailleurs dans les projets annuels de performance. Quasiment tout le monde s’accorde à dire (même les partisans de cette implantation) que les caméras n’ont aucun ou peu d’intérêt en termes de prévention. De nombreuses attaques de commerces dont des banques ont lieu malgré la présence de caméras. Des exactions peuvent se commettre par des délinquants masqués qui ne sont pas reconnus par les caméras. Une anecdote : À Levallois-Perret, lors de l’implantation des premières caméras, des délits étaient commis au pied des caméras qui ne pouvaient pas filmer verticalement ! A Londres en 2006, une étude de grande qualité méthodologique démontrait que seules 3% des affaires étaient élucidées grâce aux caméras et pourtant dans la ville la plus vidéosurveillée du monde. En France en 2009, un rapport ne disait pas le contraire.
Le positionnement des caméras risque d’entraîner un déplacement de la délinquance, ce que l’on appelle l’effet plumeau : En 2014 Hubert Chardonnet adjoint à la sécurité de la ville de Rennes avouait que depuis l’installation de caméras place St-Anne, le trafic s’était déporté sur le quartier République. Depuis, 3 cameras ont été installées rue République. Se posait la question d’un déplacement de la délinquance vers le secteur de la Gare.
Il est bien démontré également que les violences graves et répétées, statistiquement se situent dans la sphère privée (intrafamiliale par exemple) et donc très loin des fameuses caméras.
Arrêtons-nous un instant sur le rapport de la Cour des comptes, publié dans une période préhistorique puisqu’en juillet 2011 ! Gageons que cela a profondément changé depuis !
Que dit ce rapport ? Que les commissions départementales censées contrôler les installations de vidéoprotection ont peu de moyens matériels et humains ; qu’elles ont un rôle formel. Les avis négatifs sont exceptionnels. Le préfet est chargé de promouvoir les avantages de l’implantation de caméras auprès des élus locaux alors que lui-même délivre les autorisations d’installations de celles-ci ! Il n’est pas lié par l’avis rendu par la commission départementale qui n’est que consultatif. La Cour des comptes souligne qu’une circulaire ministérielle a donné instruction aux préfets de considérer que le risque d’insécurité est avéré même si le lieu où l’établissement à surveiller n’ont pas connu d’agression ou de vol au moment de la demande !
Lorsque l’on tape les mots « sécurité » ou « vidéoprotection » ou « vidéosurveillance » dans un moteur de recherche sur Internet, les premiers sites correspondent à des sociétés de ventes de caméras de tous ordres ou à des sociétés de surveillance. Le marché est là et bien là !
Il faut également bien entendu parler du coût de ce type de mesures en tenant compte de l’investissement, de l’entretien et de l’exploitation : Plusieurs milliers d’euros par caméra. L’expérience a aussi malheureusement montré que dans les villes où ont été installées des caméras qu’un certain nombre étaient vandalisées et devaient donc être remplacées ou réparées.
Un des principaux risques de l’implantation de caméras sur la voie publique est le risque de frustration de la part d’habitants en dehors des zones non surveillées, qui lors de nouveaux faits de délinquance demanderont instamment l’implantation de caméras dans leur périmètre, persuadés de leur efficacité. La surenchère politique ne va pas tarder et l’on devine de quels bancs elle va venir avec des propos non dénués de démagogie pour s’inquiéter du faible nombre de caméras ou de quartiers proposés à la vidéosurveillance.
En revanche, les analyses indépendantes de sociologues évoquent pour la plupart une efficacité des caméras dans des lieux fermés bien définis : parkings, bus par exemple.
Nous ne pensons pas que les progrès scientifiques et techniques permettent la protection de tous les risques même avec le projet de mise en place de digicode pour des immeubles : ils peuvent même constituer une illusion comme l’a déjà rappelé la Ligue des droits de l’Homme.
Création d’une Police Municipale
Une deuxième proposition attire notre attention : il s’agit de la création d’une Police Municipale. La problématique semble plus complexe que l’implantation de caméras. Rappelons également que cette proposition est extrêmement récente et qu’elle n’avait pas été retenue au final par le groupe de travail « tranquillité publique » qui s’est réuni et a travaillé pendant un an.
Depuis des années on assiste à un désengagement de l’État sur le nombre de policiers (de la Police Nationale) et de gendarmes, ce qui n’est pas sans conséquence sur les possibilités de répondre efficacement aux problèmes d’insécurité de la population. La Ville de Saint-Nazaire est aussi impactée par ces diminutions de postes. Nous sommes convaincus que le débat qui nous occupe ne serait pas le même si le nombre de policiers nationaux n’avait pas diminué progressivement dans notre ville. Rappelons également la disparition des dispositifs mis en place par le gouvernement Jospin concernant une Police Nationale de proximité et également les propos médiatisés de monsieur Sarkozy alors ministre de l’Intérieur devant les responsables de la Police Nationale expliquant que ces mêmes policiers ne devaient pas avoir de fonction de prévention mais essentiellement de répression !
La Police Nationale travaille au quotidien, d’arrache-pied pour résoudre les affaires de délits. Les dernières actualités à SN nous démontrent son efficacité.
Le chiffre de 10 policiers municipaux nous est proposé. Sur quelles bases et à la suite de quelle réflexion ? Nous savons déjà que, comme pour les caméras nous allons assister à une surenchère de propositions expliquant qu’il en faut un nombre supérieur. Nous ne pouvons faire l’impasse sur un plan de formation important de cette police municipale. Il est aussi possible que l’on évoque la nécessité d’armer cette police municipale. Cet armement serait à notre avis une extraordinaire erreur politique. La proposition récente d’aide par l’état dans l’armement des polices municipales en dit long sur l’état d’esprit sécuritaire qui règne dans notre pays ! De même que la tenue vestimentaire de ces policiers municipaux doit être intelligemment réfléchie. En effet ces éléments sont des marqueurs importants de la volonté politique et de l’objectif exact de ces choix. L’image que refléterait cette police municipale a des conséquences notables sur le comportement des citoyens et peut même avoir des effets complètement contre-productifs, sur le sentiment d’insécurité ou sur les actes de délinquance en réponse à une image et des comportements inadaptés des policiers municipaux. La peur et le sentiment d’insécurité s’en trouveraient renforcés.
Pour combattre et prévenir l’insécurité, la plupart des acteurs politiques, des sociologues, des professionnels de l’action sociale, prônent une présence humaine renforcée auprès de la population. Les élus écologistes ne peuvent que souscrire à cette analyse.
Une Police Municipale ne doit en aucun cas remplacer la Police Nationale. Elle n’a pas pour vocation à agir sur le trafic de drogue, le vol ou la violence aux personnes. Il faut que tout le monde en soit conscient ! Bien que la prévention, la dissuasion, le dialogue et les services à la personne devraient être les missions principales, il n’y a eu pour l’instant aucune réflexion collective précise sur ces fameuses missions.
Si cette délibération est votée, les élus écologistes seront donc vigilants et très présents dans la construction du programme des missions allouées à cette Police Municipale. De même nous serions favorables à faire le bilan objectif au bout d’un an de ces deux dispositifs ce d’autant plus qu’il est indiqué dans la délibération que l’implantation des caméras sur la voie publique est une expérimentation.
Enfin on ne peut bien sur éluder la question du coût de tout ce dispositif qui nous est proposé (notamment police municipale et vidéo-machin). La politique consiste à faire des choix en fonction de priorités bien affirmées, liées à une analyse objective de situations données et en fonction de valeurs. Dans un contexte de contraintes budgétaires, des choix devront donc être obligatoirement envisagés. Il sera aussi nécessaire de bien flécher et valoriser tous les autres objectifs et intentions listés dans le contrat local avec lesquels nous sommes parfaitement d’accord, qui eux aussi ont un coût non négligeable.
En conclusion : les élus écologistes pensent donc que ce contrat local comporte des mauvaises réponses à de bonnes questions. Il semble répondre plus au sentiment d’insécurité qu’aux problèmes avérés de sécurité avec des risques de dérive et de surenchère. Il existe cependant une volonté affichée de promouvoir une présence humaine de qualité auprès de la population avec de nombreuses mesures qui interviennent sur les déterminants de la délinquance mais qu’il faudra décliner et mettre en place dans les mois et années qui viennent. Vous comprendrez que les élus écologistes, ne peuvent voter pour cette délibération dans sa totalité et donc vont s’abstenir.